La merveille de la vie sur terre : un modèle pour l’avenir et la révolution économique et anthropologique

La Création, la Parole de Dieu et la Doctrine Sociale de l’Eglise nous indiquent le chemin à suivre pour sortir des ornières

Résumé

Contrairement aux apparences, Laudato si n’est pas une encyclique sur l’écologie, mais un véritable programme de société, dans la continuation de la doctrine sociale de l’Église. En effet, la Création est beaucoup plus qu’un enjeu annexe à l’économie, mais la base même de l’économie. En observant la Vie sur terre et les écosystèmes, résilients depuis des milliards d’années, le Pape nous indique le modèle créé par Dieu qui éclaire notre société en faillite. C’est un programme très opérationnel que les familles, les collectivités ou les entreprises peuvent suivre pour reconstruire notre maison commune. Ce ne sont pas les bonnes pratiques plus ou moins écologiques qui fonderont l’avenir, mais la recherche d’harmonie avec la Création. Loin d’être une contrainte ou un problème, la vie sur terre est la solution, livre ouvert sur l’Amour de Dieu pour éclairer notre route et développer l’humanité dans son intégralité.

1.    Une approche historique et scientifique

La vie sur terre

Sur le plan scientifique, depuis le commencement, les systèmes vivants se sont développés avant tout par les relations entre les espèces. La collaboration et la coopération sont ainsi essentielles pour sa réussite, bien au-delà de la compétition. Le principe du fonctionnement et du développement des écosystèmes — les systèmes vivants — est basé sur la diversité et la complémentarité des espèces, car aucune espèce ne peut vivre et survivre par elle-même. C’est bien cette diversité et ces interrelations qui assurent la perpétuation de la vie et son évolution. En conséquence, les espèces sont dépendantes du système vivant et le système vivant ne vit que par les espèces. Son fonctionnement engendre des services dont bénéficie l’ensemble des êtres vivants, par exemple le cycle de l’eau, des climats, la biodégradation… Les systèmes vivants sont créateurs de richesses, de biens et de services. Le principe fondamental de la vie sur terre peut être résumé par la coopération dans la diversité.

L’Homo Sapiens : l’alliance avec les systèmes vivants

L’homme moderne, Homo Sapiens serait apparu il y a 300 000 ans, et pendant 290 000 ans n’a vécu qu’en bénéficiant directement des services produits par les systèmes vivants, appelés services écosystémiques. La chasse, la pêche ou la cueillette lui ont permis de vivre, dans des conditions de sécurité et de bien-être cependant limitées.

Il y a environ 8 000 ans, Homo Sapiens a utilisé son intelligence et sa capacité à développer une vision de l’avenir pour modifier les systèmes vivants à son profit, augmentant ainsi sa capacité de survie et son confort. C’est la révolution néolithique, aussi appelée révolution agraire, durant laquelle l’Homme a appris à s’associer avec la Vie en aménageant l’espace et en inventant de nombreuses techniques à son profit. Mais il ne crée rien par lui-même, et devient ainsi co-créateur de richesse avec les systèmes vivants. Toute l’histoire de l’humanité est alors la recherche de l’optimisation de cette alliance, par la collaboration avec du fonctionnement du vivant, en mêlant le génie de l’humanité par la technologie avec la puissance de la vie que nous ne comprenons que très peu.

Par l’aménagement de l’espace à des fins agricoles et industrielles, l’humanité a créé une diversité de milieux par les usages et les cultures. La diversité des milieux et des espèces était ainsi à son apogée au XVIIIème siècle, ce qui montre que l’activité humaine n’est pas mauvaise pour les écosystèmes. C’est une question d’équilibre.

Contrairement à ce que notre société moderne a tendance à croire, elle est toujours aussi dépendante des systèmes vivants et ne doit son passé, son présent et son avenir qu’aux bons équilibres de la biosphère. Nous avons toujours autant besoin des cycles de l’eau, du carbone, de la régulation des climats, de la fertilité des sols, de la pollinisation ou de la biodégradation. Notre économie dépend fondamentalement du bon fonctionnement des systèmes vivants : alimentation, bois, papier, vêtements, médicaments, tourisme… sont issus des écosystèmes. C’est ainsi que près de la moitié des activités économiques mondiales reposent directement sur les services écosystémiques. Tout sur terre est lié à la Vie !

L’économie est toujours dépendante des systèmes vivants

Le but de l’économie est donc la (bonne) gestion des systèmes vivants pour permettre le développement humain intégral. L’étymologie du mot économie est oïkos nomos, la gestion du foyer, de la maison commune et reflète parfaitement cette réalité. L’économie réelle est donc intimement liée à l’écologie, dont l’étymologie est oïkos logos, la connaissance de la maison commune. Toute l’histoire de cette économie réelle est donc une histoire d’optimisation des systèmes vivants en co-création.

L’origine des crises et bouleversements modernes se trouve précisément dans l’abandon de cette association bénéfique pour les deux parties. La finalité de l’économie a évolué progressivement, en particulier à partir du XVIIIème siècle et le développement de l’économie politique, vers une autre finalité : la maximisation du profit de chaque acteur économique. L’économie financière a pris progressivement le pas sur l’économie réelle de co-création en abolissant progressivement les liens avec le bien commun et les systèmes vivants. Mais « le principe de la maximalisation du gain est une distorsion conceptuelle de l’économie[1] ». La technologie est ainsi développée pour favoriser la concentration des richesses (ce qui est la finalité déclarée et assumée de l’économie financière) au détriment de l’économie basée sur les systèmes vivants qui favorisent l’échange, le partage et la diversité. Les dérégulations des années 90 et la crise de 2008 ont encore accéléré le divorce entre l’économie financière et le fonctionnement de la biosphère.

L’abandon du lien de l’économie avec les systèmes vivants

Les conséquences de l’abandon de la prise en compte du vivant comme base de l’économie se ressentent aujourd’hui dans ses effets : la destruction des écosystèmes engendrant l’érosion des services écosystémiques pourtant indispensables, le réchauffement climatique, la faim, les migrations…

L’origine des maux d’aujourd’hui est précisément cette économie théorique à vocation financière qui ne respecte plus les principes de la Vie sur terre (collaboration, interrelation, interdépendance, diversité…). Il n’y a pas de doute ni de débats sur la réalité de la destruction des écosystèmes, mais la mentalité techniciste prétend que la technologie sera capable de remplacer les systèmes vivants.

Nous n’avons donc qu’un seul problème à résoudre : c’est un système économique développé en dehors des systèmes vivants, avec une foi quasi religieuse en la technologie divinisée. « La vie est en train d’être abandonnée aux circonstances conditionnées par la technique comprise comme le principal moyen d’interpréter l’existence[2] ». « Quand le capital est érigé en idole et commande toutes les options des êtres humains, quand l’avidité pour l’argent oriente tout le système socio-économique, cela ruine la société, condamne l’homme, le transforme en esclave, détruit la fraternité entre les hommes, oppose les peuples les uns aux autres, et comme nous le voyons, met même en danger notre maison commune[3] ». Le réchauffement climatique, les sécheresses ou la faim dans le monde ne sont que les symptômes de ce déséquilibre, et c’est sur ce déséquilibre et non sur ses conséquences qu’il faut agir.

La solution est donc économique, en changeant radicalement notre regard, pour recommencer à nous comporter comme des êtres vivants dépendants des systèmes vivants, en nous inspirant du fonctionnement de la vie. Le bien-être et la sécurité de l’humanité sont toujours liés aux systèmes vivants.

2.  Dimension spirituelle

Au-delà de ces descriptions factuelles, ces principes sont inscrits très profondément dans notre spiritualité. Sans surprise, les réalités naturelles et les réalités surnaturelles se correspondent.

Les principes de la vie et la mission de l’homme

Le fonctionnement de la vie dans sa diversité et son interdépendance est décrit dès les premières lignes de la Genèse… Le récit de la Création nous présente un monde qui foisonne de vie, et le catéchisme, reprit par Laudato si, souligne les principes d’interdépendance des systèmes vivants :

« L’interdépendance des créatures est voulue par Dieu. Le soleil et la lune, le cèdre et la petite fleur, l’aigle et le moineau : le spectacle de leurs innombrables diversités et inégalités signifie qu’aucune des créatures ne se suffit à elle-même. Elles n’existent qu’en dépendance les unes des autres, pour se compléter mutuellement, au service les unes des autres[4] »

Le rôle de l’homme est dès l’origine de poursuivre l’œuvre du Créateur. C’est donc notre mission fondamentale de travailler avec les systèmes vivants pour les optimiser. Nous sommes co-créateurs car le Père nous a laissé la liberté de construire avec lui « comme si l’artisan constructeur de navires pouvait accorder au bois de pouvoir se modifier de lui-même pour prendre la forme de navire[5] ». Notre mission première sur terre, fixée par le père au sixième jour, est bien l’économie — oïkos nomos — car « Yahvé Dieu prit l’homme et le plaça au milieu du jardin pour le cultiver et pour le garder[6] ». Le chrétien ne peut donc pas se positionner comme « écologiste » en tant qu’option parce qu’il s’agit de sa vocation de gérer la création et donc les systèmes vivants. Tout chrétien est lié dès l’origine au fonctionnement de la biosphère. La simple observation des systèmes vivants nous parle de Dieu, de sa Création encore à l’œuvre, de la Trinité représentée autant par la diversité et la complémentarité des espèces que par les interrelations fortes qui génèrent les services écosystémiques. L’observation des systèmes vivants nous rappelle surtout notre mission principale de participer à la Création en la gardant et la cultivant.

La division et la rédemption

Ce que nous observons objectivement dans les atteintes à la Création par un système économique à finalité financière n’est rien d’autre que l’accomplissement permanent de la chute. Le principe premier des systèmes vivants pour assurer leur pérennité étant « l’unité dans la diversité », le Malin prend précisément le rôle de Diviseur pour s’opposer au Créateur. Le récit de la Genèse est le mode d’emploi utilisé par l’adversaire pour s’opposer à la Création : briser les liens entre l’Homme et le Créateur, l’Homme et la Création, l’homme et la femme, en rendant l’Homme co-destructeur alors qu’il devait être co-créateur. Puisque c’est le berger, celui à qui étaient confiées les clefs de l’équilibre du jardin, qui a failli, c’est l’ensemble du jardin qui est déséquilibré, et cela se vérifie exactement dans l’observation de cette économie de division et de concentration des richesses là où la justice distributive devait répartir à chacun les biens de la Création. La description des mécanismes à l’œuvre dans notre monde moderne est une représentation vraiment saisissante du récit originel, comme le décrit le Pape François : « La violence qu’il y a dans le cœur humain blessé par le péché se manifeste aussi à travers les symptômes de maladie que nous observons dans le sol, dans l’eau, dans l’air et dans les êtres vivants[7] »

Mais ne négligeons surtout pas notre propre responsabilité en nous déchargeant sur nos lointains parents : nous sommes toujours co-destructeurs en préférant notre confort et nos superflus, décidant ainsi du bien et du mal, au détriment des plus faibles et des systèmes vivants.

La venue du Christ est aussi liée intimement au fonctionnement de la Création, car son action rédemptrice s’étend à toute la Création. Là où le Diviseur a brisé l’harmonie originelle, le Christ répare, recrée les liens fondamentaux, et relance la dynamique créatrice de la vie contre la logique destructrice. L’action du Christ s’exerce dans les systèmes vivants. Il y associe tous les hommes, et leur demande de mener le combat avec lui. Une fois de plus, la gestion de la Création et l’écologie ne sont pas des options pour le chrétien, mais le fondement de sa mission même. Il est co-rédempteur pour l’ensemble de la Création, « car l’être humain, doué d’intelligence et d’amour, attiré par la plénitude du Christ, est appelé à reconduire toutes les créatures à leur Créateur[8] ». C’est donc à la révolution que nous sommes appelés, une révolution au sens étymologique, c’est-à-dire revenir aux cycles de la Vie, comme ils ont été conçus par le Père, mais en y associant notre intelligence créatrice et nos technologies.

Le combat quotidien

Beaucoup voudraient pouvoir agir immédiatement et très concrètement pour les systèmes vivants, pour s’opposer à leur destruction et réparer les atteintes à notre monde. Il ne faut cependant pas négliger la dynamique surnaturelle à l’œuvre au risque de nous disperser dans des actions limitées et sans stratégie. Le récit de la chute décrit très exactement la crise économique, écologique et morale que nous observons. Il s’agit bien du plan du Diviseur, qui jubile et hurle de rire en observant ces créatures que le Père avait placées en gardien, s’acharner à détruire la Création et leurs frères les plus faibles, obérant ainsi leur propre avenir. C’est pourquoi Benoit XVI puis François estiment que « l’Église doit protéger l’homme de sa propre destruction[9] ». Le plan de l’ennemi est efficace et bien étudié, car le remède qui est souvent proposé à notre monde est aussi pernicieux que le mal : l’écologie profonde dominant dans de nombreux discours s’attaque à la liberté de l’homme, et veut surtout l’exclure de la Création, en considérant ses actions comme mauvaises par nature, car « artificielles ». L’écologie profonde d’aujourd’hui ne reconnaît pas la mission de l’homme participant à la Création, et la légitimité d’aménager la nature. Que le vainqueur soit l’économie financière ultra libérale ou l’écologie profonde, c’est toujours le Diviseur qui est à la manœuvre. Le combat du chrétien est plus que jamais spirituel, car nous vivons un combat global dont les effets sur les systèmes vivants ne sont que l’un des symptômes. Nous atteignons aujourd’hui objectivement un point culminant rappelé par le Pape : « il semble que le temps soit sur le point de s’épuiser[10] » et « jamais l’humanité n’a eu autant de pouvoir sur elle-même[11] ». En effet, les enjeux écologiques ne peuvent être cantonnés à une simple vision théorique d’un nombre d’espèces menacées ou de quelques degrés de réchauffement qui affecteront les générations futures, mais nous sommes individuellement complices aujourd’hui d’un système qui tue plusieurs dizaines de milliers de personnes par jour[12], et ce n’est pas un fait extérieur à notre existence : nos modes de vie, de production et de consommation y participent. « Que signifie le commandement « tu ne tueras pas » quand « vingt pour cent de la population mondiale consomment les ressources de telle manière qu’ils volent aux nations pauvres, et aux futures générations, ce dont elles ont besoin pour survivre ’[13] ». C’est donc bien au quotidien que nous devons choisir notre camp pour combattre comme co-créateur ou co-destructeur. Car « si l’être humain se déclare autonome par rapport à la réalité et qu’il se pose en dominateur absolu, la base même de son existence s’écroule, parce qu’au lieu de remplir son rôle de collaborateur de Dieu dans l’œuvre de la Création, l’homme se substitue à Dieu et ainsi finit par provoquer la révolte de la nature[14] ».

Fort logiquement, la dimension spirituelle rejoint la dimension naturelle. Nous avons développé un modèle technocratique qui fait abstraction de la vie, et abstraction du créateur de la vie, et les conséquences sont la division et la destruction de la vie. C’est bien ce système qu’il faut remplacer, mais nous avons notre modèle pour nous inspirer : les systèmes vivants créés par le Père.

3.  Actions !

D’abord l’économie

Depuis des décennies, la doctrine sociale de l’Église nous appelle à aller au-delà des simples bonnes pratiques individuelles, pour agir et bâtir la « Cité céleste». En effet, « la culture écologique ne peut pas se réduire à une série de réponses urgentes et partielles aux problèmes qui sont en train d’apparaître par rapport à la dégradation de l’environnement, à l’épuisement des réserves naturelles et à la pollution. Elle devrait être un regard différent, une pensée, une politique, un programme éducatif, un style de vie et une spiritualité qui constitueraient une résistance face à l’avancée du paradigme technocratique[15] ».

Ainsi, comme évoqué précédemment, il ne faut pas confondre les causes et les conséquences au risque de nous battre contre des ombres insaisissables. L’origine des déséquilibres se situe dans un modèle développé indépendamment des réalités des systèmes vivants, par soif de domination, et appuyé par une économie dont la finalité est la finance pour elle-même. C’est sur ce point que des actions sans concessions doivent porter pour être efficaces, car « il ne suffit pas de concilier, en un juste milieu, la protection de la nature et le profit financier, ou la préservation de l’environnement et le progrès. Sur ces questions, les justes milieux retardent seulement un peu l’effondrement. Il s’agit simplement de redéfinir le progrès. Un développement technologique et économique qui ne laisse pas un monde meilleur et une qualité de vie intégralement supérieurs ne peut pas être considéré comme un progrès[16] ». Laudato si n’est donc pas une encyclique sur l’écologie, mais véritablement sur l’économie, qui doit se réintégrer dans la logique de la vie. C’est un combat d’entrepreneurs pour définir les nouvelles voies de Création de valeur. Ce modèle économique à développer n’est pas nouveau, car il est lié aux relations que nous maintenons avec les écosystèmes depuis 300 000 ans. Nous pouvons nous inspirer de la vie, non pour des raisons éthiques ou écologiques, mais simplement parce que ça fonctionne depuis le commencement, et surtout parce que c’est l’œuvre du Père, donc pénétré de sagesse et d’intelligence. 

Par de nouvelles gouvernances

Nous ne pouvons plus aujourd’hui nous remettre aux institutions classiques pour gérer des enjeux de ce niveau, d’autant que certaines d’entre elles sont complices, sinon directement coupables des déséquilibres. Cela ne veut cependant pas dire s’y opposer, car la révolte, étant l’arme originelle du Diable, ne porte pas de fruits. Notre responsabilité ne peut s’arrêter à un bulletin de vote, et l’Église nous appelle à d’autres formes de gouvernance : « Toute volonté de protéger et d’améliorer le monde suppose de profonds changements dans les styles de vie, les modèles de production et de consommation, les structures de pouvoir établies qui régissent aujourd’hui les sociétés[17] ». « Il est fondamental de chercher des solutions intégrales qui prennent en compte les interactions des systèmes naturels entre eux et avec les systèmes sociaux. Il n’y a pas deux crises séparées, l’une environnementale et l’autre sociale, mais une seule et complexe crise. Les possibilités de solution requièrent une approche intégrale pour combattre la pauvreté, pour rendre la dignité aux exclus et simultanément pour préserver la nature[18] ». Ce sont donc véritablement de nouvelles communautés humaines que nous sommes appelés à construire, comme les premiers chrétiens ont bâti une nouvelle société au cœur même de la Rome de Néron ou Dioclétien. Par une loi commune d’amour et d’unité, nous pouvons refaire le travail de nos anciens, avec la même ambition. Il ne s’agit pas de remplacer intégralement le système politique d’aujourd’hui, mais de développer en son sein des îlots de paix et de respect de la Création, appuyés par des échanges économiques intégrés dans les systèmes vivants.

Mise en œuvre

Sans revenir sur les causes financières et technocratiques de la crise, très largement décrites dans Caritas in veritate et Laudato si, les actions ne sont pas si difficiles, si tant est que quelques citoyens, quelques familles et quelques entrepreneurs décident que l’avenir leur appartient. Économie et écologie ne pouvant être dissociées, car basées étymologiquement sur le même terme oïkos — la maison commune — la nouvelle économie vivante s’inspire de la vie et travaille avec la vie. La première démarche consiste à redéfinir le rôle de l’économie, qui n’a pas pour finalité la maximisation du profit, mais la co-création de valeur avec les systèmes vivants, pour la production de Bien et de Service, par les échanges de biens et de services, et la juste répartition de la valeur créée. L’optimisation du profit – et non la maximisation du profit – est l’une des modalités de cette économie et non sa finalité.

Des expérimentations sur ce modèle sont d’ores et déjà en cours et semblent prometteuses. Les indicateurs de performance tels que le PIB n’ont pas d’intérêt dans ce modèle car ils ne donnent que des indications très partielles à finalité financière, sans par ailleurs renseigner sur la pérennité et la résilience des entreprises. Ce sont donc de nouveaux indicateurs extra financiers, à destination des entrepreneurs et financeurs, qui sont en train d’être étudiés pour rendre compte du bon équilibre entre les entreprises et les systèmes vivants. Il s’agit ensuite de développer des outils de financement indépendants du modèle actuel pour permettre les investissements et le vrai développement des économies territoriales. Des systèmes de bourses régulées en fonction du bien commun sont des solutions d’avenir, qui seront déterminantes pour la reconquête de notre autonomie vis-à-vis du système financier. En remettant l’argent à sa juste place, c’est-à-dire la noble fonction de faciliter les échanges de biens et services produits par les hommes et les systèmes vivants, nous pouvons assurer facilement le développement du nouveau paradigme économique. À titre d’exemple, on trouve déjà des débuts de résultats très intéressants en agriculture. Il existe en effet deux types d’agriculture, comme il y a deux types d’économie : non pas l’agriculture biologique et l’agriculture conventionnelle, qui ne sont que des modalités techniques, mais l’agriculture à finalité vivrière et l’agriculture à finalité financière. Ce sont bien les marchés spéculatifs qui décident aujourd’hui des mises en production des terres, et sont ainsi en grande partie à l’origine des milliers de morts quotidiens. En travaillant sur des filières efficaces, en général locales, basées sur la demande et organisées pour satisfaire cette demande, il est possible d’une part de rémunérer correctement le travail du producteur sans pour autant augmenter le prix final et en respectant les cycles des systèmes vivants. Ces expériences montrent qu’en étant indépendantes des logiques financières d’autres solutions émergent. Elles sont pour l’instant trop marginales pour constituer une véritable alternative, et il conviendrait de constituer des forces en unissant les acteurs de ces initiatives au sein du nouveau système économique. De nombreux autres secteurs avancent sur des chemins plus vertueux, mais ils sont malheureusement isolés. L’inspiration des écosystèmes montrant que les relations et la diversité sont à la base de l’évolution, de l’adaptation et de la résilience, c’est en constituant un réseau d’acteurs engagés sur les mêmes valeurs qu’il sera parfaitement envisageable de développer ces connexions au niveau mondial, qui est le niveau à viser.

Enfin, même si la technologie peut parfois inspirer méfiance, elle est aussi un cadeau de Dieu par le biais de l’intelligence humaine. C’est en concevant des solutions de très haute technologie, compatibles avec le fonctionnement de la vie, que nous pourrons retrouver les bons équilibres. La vie et la technologie sont toutes les deux indispensables au développement humain, alors que la pensée bipolaire — technicisme ou écologie profonde — tend le plus souvent à opposer les deux.

Des valeurs pour cette société à bâtir

Pour ne pas retomber dans les impasses de la société technocratique, nous devons nous garder de promouvoir des solutions théoriques mais miser avant tout sur les relations humaines. Le Pape François commence son encyclique en s’adressant à tous les hommes pour bien montrer que le message est universel, puisqu’il ne s’agit pas d’un sujet théologique ou moral, mais bien de notre maison commune. En conséquence, le modèle doit lui aussi être universel. Si les valeurs évangéliques sont sans aucun doute déterminantes pour une société basée sur le respect et la dignité de la personne humaine, il est primordial de définir un socle commun de valeurs fondamentales de l’humanité sans lesquelles aucune société n’est viable. De nombreux exemples démontrent que ces valeurs existent et qu’il est possible à des hommes de toutes races, origines ou religions de vivre ensemble en respectant leur diversité mais en s’unissant pour un but commun (l’un des meilleurs exemples étant la Légion étrangère française). Ces valeurs de courage, loyauté, honneur, fidélité, solidarité ou coopération doivent impérativement être posées comme préalable à tout projet, afin de développer une confiance réciproque indispensable pour les combats à venir.

Ces valeurs permettent aussi de sublimer l’inspiration des systèmes vivants, afin de lui donner la dimension spirituelle propre à l’espèce humaine.

4.  Chemin spirituel

Certains sont inquiets pour l’avenir, car les perspectives peuvent paraître incertaines. Ayant reçu la certitude que le Christ ne nous abandonnerait pas, le chrétien ne peut simplement pas douter, puisque nous sommes au cœur même de notre vocation : créer avec le Père, réparer avec le Fils, le tout avec l’aide du Saint-Esprit. Nous ne pouvons simplement pas douter de Dieu et perdre notre confiance. Ce combat économique et écologique est la base même de notre mission de Chrétien, car « vivre la vocation de protecteurs de l’œuvre de Dieu est une part essentielle d’une existence vertueuse ; cela n’est pas quelque chose d’optionnel ni un aspect secondaire dans l’expérience chrétienne[19] ».

Nous avons pour cela de nombreux outils. Le premier est l’observation et la contemplation de la Création dans laquelle le Père a placé tout son amour et son intelligence. S’inspirer de la nature, c’est tout simplement s’inspirer de Dieu lui-même. Il suffit de changer de regard sur la vie et d’ouvrir notre cœur. Mais surtout, en retournant vers le Père, le Christ nous a laissé l’Esprit pour nous guider. Les grâces surabondent dans l’adversité, en conséquence, au vu de la situation, elles doivent très certainement pleuvoir à foison, et si nous ne les voyons pas, c’est peut-être seulement par manque d’ouverture à la grâce. Sans elle, nous ne pouvons rien, et avec elle, rien ne peut s’opposer à la force de Dieu. Comme le Saint-Père le répète au long de son encyclique, « tout est lié », et ce qui nous permettra de rétablir l’unité dans notre vie et dans le monde sera avant tout la prière, la grâce, l’abandon et les sacrements. Le premier combat à mener est donc un combat spirituel, au fond de nous-mêmes, pour ne pas rester comme le jeune homme riche mais partir à la conquête de la vie. Le paradoxe de l’amour de Dieu est que dans sa toute-puissance, il ne peut rien si nous ne répondons pas présents à son appel, car il respectera notre liberté de nous détruire. La seule cause possible de l’échec est donc que nous trouvions de nouvelles excuses pour ne pas répondre à l’appel de Dieu, relayé par son Église et ses papes, et refusions de construire cette civilisation de l’amour.

Le combat à mener est joyeux, même s’il est très souvent ardu, et nous ne pouvons avoir de crainte puisque le Père nous y appelle depuis l’origine, et son Fils depuis l’Incarnation. Ce n’est pas une révolte, mais une construction. Elle permet de proclamer Dieu à tous les hommes, par ses œuvres et sa Création.

Conclusion

Nous vivons une période magnifique où la liberté nous est offerte de construire le monde à naître. La morosité et la peur ne peuvent exister face à ces enjeux joyeux. Nous ne savons pas forcément comment faire, mais cela n’est pas d’une grande importance. Les apôtres étaient sans doute encore perdus à l’Ascension, bien qu’ayant constaté la Résurrection, mais ils n’avaient plus aucun doute au lendemain de la Pentecôte. Ils ne savaient pas davantage où aller, mais ils avaient confiance en l’Esprit pour les guider. Cela les a conduits à répandre l’amour de Dieu et transformer l’occident en quelques siècles seulement, sans même avoir la technologie dont nous disposons aujourd’hui.

Il nous suffit donc de nous abandonner, et aucun système mondial, aussi puissant qu’il soit, ne pourra s’opposer au chemin de réconciliation de l’Homme dans la Création.

« Marchons en chantant ! Que nos luttes et notre préoccupation pour cette planète ne nous enlèvent pas la joie de l’espérance. Dieu qui nous appelle à un engagement généreux, et à tout donner, nous offre les forces ainsi que la lumière dont nous avons besoin pour aller de l’avant. Au cœur de ce monde, le Seigneur de la vie qui nous aime tant, continue d’être présent. Il ne nous abandonne pas, il ne nous laisse pas seuls, parce qu’il s’est définitivement uni à notre terre, et son amour nous porte toujours à trouver de nouveaux chemins. Loué soit-il[20] ».

Patrice Valantin

[1] Laudato si 195

[2] Laudato si 110

[3] Discours du Pape François à Santa Cruz Bolivie le 9 juillet 2015

[4] Catéchisme de l’Église catholique n340 cité par Laudato si 86

[5] In octo libros Physicorum Aristotelis expositio, lib II, lectio 14 cité par Laudato si 80

[6] Genèse 2,15

[7] Laudato si 2

[8] Laudato si 83

[9] Caritas in veritate 51 cité par Laudato si 79

[10] Discours du Pape François à Santa Cruz Bolivie le 9 juillet 2015

[11] Laudato si 104

[12] Chiffres ONU Food and Agriculture Organization 2015

[13] Conférence épiscopale de Nouvelle-Zélande 2006 citée par Laudato si 95

[14] Centesimus annus 37 cité par Laudato si 117

[15] Laudato si 111

[16] Laudato si 194

[17] Centesimus annus 58 cité par Laudato si 5

[18] Laudato si 139

[19] Laudato si 217

[20] Laudato si 244